Bilan d’un an de voyage. Mais celui-ci avec les tripes ! Matt

Lorsque nous avons publié nos bilans d’un an de voyage, nous avons constaté que Eve avait écrit le sien avec les tripes. Pour ma part, un peu crevé ce jour-là, je l’avais exprimé de manière plus neutre. Plus superficielle ? Pour poser un vrai jalon, je l’ai donc repris. J’ai cherché à aller plus loin.

Couverture - Mon bilan - Matthieu

Le Vietnam

J’ai été si heureux au Vietnam. Ce pays est brumeux, montagneux et maritime. Je me suis senti libre et heureux en conduisant ces scooters des journées entières à travers les villages, les pains de sucre et les forêts immenses. Nous avons pu nous perdre au milieu des papillons, dans des temples anciens isolés dans la nature, le long de la Mer de Chine.

Nous avons même traversé un cimetière le long d’une plage dont les tombes multicolores étaient ensablées et recouvertes d’herbes. J’ai eu une sensation étrange, mais souriante en sillonnant cet étrange lieu sur notre petit scooter.

Nous avons été au contact des gens, dans des endroits au fin fond du Vietnam, au bout de routes qui ne sont plus que des vagues chemins.

Et nous y avons fait des rencontres. Hoa d’abord, qui nous a emmenés dans sa vie de village, et au sein de sa famille. Une fille de 25 ans courageuse, mariée, maman qui m’a touché par son courage. Elle coud péniblement chaque soir des chaussures en cuir après son travail de réceptionniste. Aujourd’hui, nous gardons une relation avec elle, et tentons de l’aider de la façon la plus « saine » possible, sans être qu’un portefeuille blanc.

Je me rappelle aussi de ce périple à moto dans le Delta du Mékong où nous avons fini dans une famille généreuse, au milieu des plantations de fruits du dragon. Une caisse de bières, des glaçons, des pattes de coq noir, et lui qui chantait « Aline » sur sa guitare.

Et puis, enfin, j’ai été chamboulé comme je ne pensais pas l’être lors de notre semaine à l’orphelinat de Di An, près d’Ho Chi Minh. J’ai en une semaine aimé ces enfants, aimé donner de la tendresse. Le départ m’a été très difficile. Les questions et mes ressentiments se sont cartonnés les uns les autres. J’en ai gardé une envie d’adopter très forte.

J’aime l’Asie, et ce pays en a tous les symboles. De tous les continents, il est pour le moi le plus dépaysant, le plus créatif, le plus bariolé, le plus vivant. J’aime défiler dans ces rues grouillantes et bruyantes, au milieu des marchés, des gargotes en tout genre, picorer une brochette de poulet, des poulpes séchés et retrouver le silence de temples magnifiques, kitsch et vivants. Chaque commerçant asiatique a une cuisine ambulante différente, coupe ses légumes à la vitesse de la lumière, les fait virevolter dans des gestes aériens. Les noodles, les fines lamelles de porc et les herbes tombent coup après coup gracieusement dans votre assiette.

Je me rappelle des colliers de fleurs, des Bouddhas roses fluos, des tuk-tuk bleu néon avec leur musique à fond. J’aime ce continent, ces villes et ces villages asiatiques.

Puis, après la ville, on reprend un scooter et on va se paumer dans la nature.

Bangkok en Thaïlande réunit à la fois le futurisme d’une mégalopole et ces rues parfois un peu crasseuses mais si pétillantes. J’ai été enthousiasmé par cette ville que nous avons connue en manifestation contre le gouvernement : envahie par des tentes, bloquée à tous ses carrefours. Elle m’a donné l’idée d’un Paris bloqué lui aussi, un Paris de fête, de liberté.

Madagascar et l’Afrique

Madagascar est un pays somptueux et diversifié.

Je me souviens de cette sensation de bien être, quand je dormais la nuit tombée dans notre pirogue en bois, et qu’à la lumière de la lune, nous sommes arrivés sur une plage blanche immaculée. Le bruit des vagues berçait doucement cet endroit perdu dans le pays Vezo.

La journée nous avions avancé au gré de voiles faites de sacs de riz, sur une mer bleue turquoise, le long de côtes peuplées de baobabs. Je riais avec Daouli, notre capitaine, qui n’arrêtait pas du haut de sa quarantaine de fumer des pétards.

Madagascar, c’est aussi les Hautes Terres, ces plateaux rouges enclavés dans des montagnes sauvages. Les maisons m’ont étonné, elles sont les mêmes que les nôtres dans le Tarn et Garonne : briques rouges, menuiseries, toits… J’ai adoré notre rencontre avec Dominique, 65 ans, voyageur du monde, et marquettiste depuis 20 balais ici. Par son enthousiasme sur le cinéma, ses phrases poétiques, son humour, il m’a emmené dans son univers. Il veut partir une année en Amérique du Sud…Peut-être nous le retrouverons là-bas.

L’Afrique, c’est aussi un combat. Ce continent lutte contre la maladie, la pauvreté, la guerre. L’Afrique du Sud et les reliques vivaces de son apartheid, le taux de Sida de 40% au Bostwana… J’ai été au milieu de tout ça et je l’ai senti. Ca m’a souvent pesé.

Les vies ne valent pas grand chose là bas, et je l’ai vu de près. Parce qu’il faut gagner de l’argent pour survivre, on prend la mer. Dans tous les cas. Nous sommes partis sur une eau calme, mais les vagues se sont élevées de 2, 3 mètres. Nous n’étions plus rien dans cette mer déchaînée, sur notre pirogue de bois. J’ai redouté le naufrage pendant ces 6 heures de cette traversée, j’ai pris tellement sur moi pour ne pas paniquer, pour sembler calme. J’ai eu peur pour Eve. J’ai pensé à la phrase de son père à notre départ de France : « Je te fais confiance, tu prends bien soin d’elle ». J’ai vécu l’arrivée sur la terre ferme comme une délivrance heureuse, comme si désormais plus rien ne serait difficile. Ce soir là, nous avons grillé des cacahuètes au milieu de cahutes en bois posées sur le sable et porté le bébé de cette jeune fille qui tenait l’hôtel.

Mais au milieu de la dureté de ce continent se révèlent des merveilles de nature incroyables. J’ai eu une baleine à 1 mètre de moi. Une baleine ! Elle jouait, elle tournait sur elle-même, passait d’un côté du bateau, puis de l’autre. Elle a voulu faire plaisir à tout le monde. J’ai découvert et aimé cet animal solitaire, curieux, joueur, énorme, mais qui parfois saturé des ondes du trafic maritime se suicide en se laissant échouer sur les plages.

Notre arrivée dans le parc du Pilanesberg reste pour moi un grand moment. Nous avançions doucement au volant de notre voiture, et au loin, dans une vallée africaine immense, bosselée, recouverte de steppes, nous avons vu ces grandes formes allongées qui marchaient lentement : des girafes. J’ai ressenti un bonheur intense. Vraiment. J’ai eu le sentiment d’être un explorateur dans un inconnu, et d’y voir ces si magnifiques animaux. J’ai été comme un grand enfant pendant ces nombreux jours que nous avons passés à sillonner ces parcs. Je me levais tôt et trépignais à l’idée de partir chercher les animaux comme pour trouver les cadeaux au pied du sapin. J’ai vu une hyène suivre notre voiture, des lionnes protéger leur proie, un zèbre mort, des vautours perchés sur les arbres alentours. Au Marakélé, j’étais débout, à deux mètres d’un rhinocéros. En Namibie, au petit matin, lorsque le soleil se levait sur les dunes oranges du désert du Namib, j’ai vu un chacal, des gemboks. Et comble de tout : j’ai porté un lion dans mes bras, près de Johannesburg. Ces moments de contact avec ces animaux sauvages m’ont fait ressentir beaucoup de bonheur.

La Nouvelle-Zélande et l’Océanie

La Nouvelle-Zélande est encore sauvage, et que ce soit de la mer à la montagne, tout y est pur. J’ai été stupéfait, admiratif, devant l’eau bleue électrique du Lac Pukaki, ou Tekapo. Ces deux lacs, entourés de forêts et de montagnes enneigées, laissaient deviner au loin, au milieu des nuages et de la neige, des espaces mystérieux et inconnus.

La traversée du Tongariro y aura été un grand moment pour moi, comme pour Eve. Nous avons remonté ce parc par la face la plus difficile. 9 heures de marche au milieu des volcans, pour arriver au milieu des nuages et d’un vent violent sur des lacs turquoise, et un plateau immense, désolé, de roches sombres. C’était splendide et terrifiant : c’était le Mordor du Seigneur des Anneaux. Nous sommes redescendus par le même côté, et en courant !

La Nouvelle-Zélande est sauvage, et notamment l’île du Sud. J’ai tellement aimé la sensation de parvenir dans des campings paumés, au milieu de rien et sans personne. Nous laissions une enveloppe avec les quelques dollars demandés, et puis nous déplions nos chaises, cherchions du bois, allumions le feu, et dégustions nos morceaux de viande cuits au barbecue. Je ressentais la liberté, et la chance d’être avec Eve au milieu d’une nature exceptionnelle. Nous nous sommes lavés dans des rivières, devant des montagnes enneigées qui se reflétaient dans l’eau.

Nous avons été accueillis par Tim et Lindy, un couple de grands parents adorables. Tim nous a emmenés sur la jetée pour pêcher. Nous nous sommes retrouvés avec Eve, canne à pêche en main, dans le silence des vagues, au dessus et au milieu de l’eau. J’ai apprécié le calme, et la joie enfantine, partagée avec la fille que j’aime, de pêcher des gros poissons.

La Nouvelle-Zélande comme l’Australie partagent ce trait commun d’être peuplés de gens gentils. Des offices de tourisme où les mamies bénévoles auraient tout fait pour nous, à la caisse de supermarché où j’ai passé un quart d’heure à causer avec la dame, puis la cliente, puis la seconde cliente… Rod dans le Sud de l’Australie nous a fait un concert privé au milieu de sa famille, dans un camping. Sandra et Bruce nous ont ouverts leurs portes pour partager un repas. Ces pays neufs ont des gens neufs, qui ne portent peut-être pas le poids de vieilles et longues histoires avec le voisin. Les Océaniens sont intéressés, sympas, aidants. Ils sont gentils.

L’Australie m’a à nouveau plu. Doucement. Moins follement qu’il y a 8 ans. Sydney reste une ville que j’aime, comme je l’ai aimée en 2006. Cette fois-ci, j’ai ressenti une émotion  étrange. J’ai été souvent comme hypnotisé par la vue sur l’Opera House, la baie, le Harbour Bridge. Oui, hypnotisé. J’avais envie de les voir chaque jour. J’avais envie de revivre ce sentiment que j’avais éprouvé il y a presque 10 ans, lors de mon premier voyage solitaire, un sentiment de bout du monde, un sentiment d’improbable. Un sentiment que je ne serais jamais ici, mais de l’autre côté de la planète. Mais une certitude que je suis ici là maintenant, dans cette brise agréable, devant ce magnifique port, si loin de chez moi.

J’ai été hypnotisé par cette sensation que ce paysage ne serait jamais le mien, jamais mon quotidien, mais que je le garderais en moi toute ma vie comme ce lieu d’une conquête lointaine. Ma conquête. Ce lieu de fuite, ce lieu heureux, ce lieu où on ne peut pas aller plus loin, mais qui est pourtant sur ma planète.

Back in the USA ! 

Les Etats-Unis…Je suis déja venu par ici il y a 3 ans.Mais malgré tout, j’ai eu l’impression de tout redécouvrir.

J’ai traversé moi, Tarn et Garonnais, fils d’ouvriers, l’Ouest Américain. J’ai rêvé dans la Monument Valley. J’au vu le Grand Canyon dans un hélicoptère. Je suis arrivé dans les entrailles de la Terre dans l’Antylope Canyon dans l’écho de la flûte de notre guide navajo.

Bryce Canyon sous la neige, l’immensité du Zion Park, les coyotes dans le désert. Chaque jour, j’ai vu des paysages magnifiques. Ce pays est époustouflant. Il donne l’impression de cacher un peu partout une nature immense changeante au gré des saisons. Les Etats-Unis sont dans tous ses aspects, impressionnants.

J’ai eu plaisir à voir Eve changer d’avis sur ce pays. J’ai eu plaisir à voir ma mère heureuse. J’ai eu plaisir à voir Otmar, du haut de soixantedizaine, comme toujours positif et barroudeur. C’était un voyage de famille formidable, bloqué dans la joie un 31 décembre sur une autoroute enneigée, ou sur un parking à Noël pour Las Vegas.

J’aime le voyage sac sur le dos

Les pays développés sont rustres. Ils sont sélectifs, exigeants. Tu fais la moindre bêtise d’organisation, et tu la paies cash, parce que c’est cher.

Dans les vastes étendues d’Océanie, dans les déserts d’Afrique, j’ai roulé, roulé, roulé. 20 000 kilomètres. Ca me crevait, et en même temps j’avais l’impression que dans notre bulle de carrosserie, on était loin des autres.

A force d’organisation, de distance avec les gens, de voiture, voiture, voiture, j’ai été crevé. Nous étions crevés. Sans s’en rendre compte jour après jour, nous nous sommes fatigués. En novembre, nous étions à plat. Quand on est crevés, rien n’est plus simple. Seul ou en couple.

En Namibie,  il y avait 100, 200 kilomètres entre deux villages. Entre : des routes de gravier, des nuages de fumée de quelques voitures passant par là, des paysages plats et des montagnes rocailleuses. J’ai voulu éviter par réflexe un serpent long de deux mètres et la voiture a tourné sur elle-même, quitté la route et s’est enfoncé sur le bas côté dans le sable et les cailloux. Je m’en suis voulu, voulu d’avoir mis en danger notre vie. On était au milieu de rien. J’étais crevé. J’ai eu envie ce jour-là de tout plaquer.

Dans les pays où on peut voyager en sac à dos, j’ai eu toujours l’impression d’être plongé automatiquement et joyeusement dans la vie des gens.

Alors oui, j’étais serré comme une sardine dans les taxi brousses à Madagascar, au milieu des animaux dans les sorgn-taa en Thaïlande, sur une chaise plastique pour enfant dans un fourgon au Laos. Ca sent la transpiration, il fait chaud, j’ai mal partout. Mais à chaque fois, j’ai pu partager la vie des gens, j’ai parlé peut-être un peu, j’ai humé le pays. On pouvait faire 30 bornes en 3 heures, j’avais vraiment la sensation d’avancer dans le voyage.

Quand nous descendions du bus, nous étions de suite alpagués par des chauffeurs de taxis, des marchands de saucisses, des klaxons. J’ai été forcément bousculé, contraint dans mes habitudes d’européens. Ca déverrouille, ca heurte. Ca me fait du bien. C’est ce que je voulais dans ce voyage.

Le sac sur le dos le permet.

J’ai aimé aussi marcher des kilomètres avec Eve, dans des endroits pourris, le long de grosses routes, dans l’odeur des pneus et la chaleur humide de ces pays. Je me rappelle d’un trajet très long proche dans le Nord de la Thaîlande, à quelques encablures de la Chine et de la Birmanie. Ca n’en finissait pas. Quand on arrive, prendre une douche, partir au marché découvrir les spécialités du coin dans une bonne fatigue était un moment simple et heureux.

Voyage et vacances

Un voyage itinérant, c’est avancer.

Il faut prendre une carte, se renseigner sur les transports, les horaires, gérer le passage des frontières, organiser la suite, prendre les billets, etc… Il faut tout le temps se préparer, faire son sac. J’ai fait mon sac environ 200 fois en un an !

Je voyage mais je suis TRÈS loin de ne rien faire.

Nos corps sont aussi habitués à une plus grande sédentarité. Je ne me pose jamais dans mon canapé devant un bon match de rugby. Nous marchons beaucoup, le sac sur le dos, dans des climats complètement différents. Je le vois sur mon corps : je commence à avoir quelques ridules au coin des yeux, j’ai un peu plus de cheveux blancs, je n’ai jamais eu autant de cernes, et j’ai plus souvent mal au genou.

Il y a donc parfois une saturation à l’émerveillement. On ne peut pas chaque jour s’extasier, s’en prendre plein les mirettes. Il y a une routine, parfois même une lassitude à aller chercher le bel endroit, devoir en prendre conscience et profiter de la beauté du lieu. Parfois, j’ai besoin que ce soit juste neutre. Que ce qu’il y à voir ne vale rien. Je n’aurais donc pas à culpabiliser de ne pas regarder, ni visiter ou explorer.

Je suis convaincu aujourd’hui que la beauté du voyage est dans le chemin. Je suis heureux quand le voyage me remet en cause, me triture mes petits principes d’occidental. Quand je sue tout ce que j’ai et que ces foutus chauffeurs me klaxonnent des dizaines de fois. J’ai été pris aux tripes devant des Indiens difformes à Mumbai, devant mes petits enfants à l’orphelinat vietnamien. Ca m’a cartonné la tête. Je me croyais savoir, avoir des certitudes, mais je me suis vu complètement déstabilisé.

A mes yeux, un voyage en est un quand je me sens étranger, quand je suis bousculé, quand j’ai une ouverture sur autre chose. Comme si c’était une série de murs derrière lesquels se cachait une belle contrée.

Je n’ai donc pas l’impression de me reposer, mais de franchir ces murs pour découvrir des belles choses. Quand il n’y a pas d’obstacles, je ressens les choses comme organisées, aseptisées. Elles m’ennuient.

Aussi loin que j’ai pu aller, le plus intense a été de rencontrer les gens

Les meilleurs moments que j’ai eus l’ont été au contact des gens.

Oui, j’ai été bouche bée devant certains paysages. Je pense à notre réaction à la vue du lac Tekapo en Nouvelle-Zélande. Nous étions émerveillés.

Mais être accueilli dans une famille est quelque chose de très fort. A Ambalavao, à Madagascar, une femme nous voit passer et nous fait rentrer chez elle. Dans un silence respectueux, on mange des racines de manioc avec eux.

A Ambositra, dans une pièce petite et assez sombre, nous nous sommes retrouvés à l’improviste au milieu d’une famille de 15 personnes réunies pour la naissance d’un enfant. Ils nous regardaient comme des personnes étranges, étrangères. Je me sentais un peu gêné, mais un sourire me donnait l’impression que j’étais accepté.

En Afrique du Sud, un pays si impénétrable, Keith et Dee qui ont la cinquantaine, nous ont invités dans leur ferme. J’ai eu l’impression de pouvoir refaire le monde avec eux. Keith est un père aimant, bricoleur, intéressant, intéressé. J’ai aimé cet homme. Ils nous ont offerts d’aller faire du rafting avec Eve et Damian, leur fils. Un fils très gravement accidenté qui reprenait goût à la vie. Nous sommes allés au contact des lions blancs. Au moment du départ, j’ai eu le sentiment de laisser quelque chose, des gens qu’il serait désormais difficile de revoir une fois dans notre vie.

Tim et Lindy en Nouvelle-Zélande ont été comme des parents avec nous. J’étais loin de chez moi, depuis un an, et deux personnes s’occupaient de moi, de nous. Nous avons marché avec Tim, au milieu des kauris, des arbres Neo-zélandais très particuliers. Le chien nous suivait. J’étais bien.

Chaque soir, Lindy regardait la montre, et nous disait : « c’est le moment du jacuzzi, non ? ». Il y avait un bain à remous à l’extérieur. Nous y allions, et elle nous apportait à chaque fois un verre de vin blanc…

J’ai pu les questionner sur leurs vies, leur demander des conseils. Je me suis senti apprécié, proche d’eux, accompagné.

A Madagascar, ou au Vietnam,  l’oeil interrogateur des enfants, leur envie d’affection m’a beaucoup touché. Car j’ai eu l’impression d’avoir un rôle, quelque chose à donner. Quand Volatiana du haut de ses 12 ans m’a pris par la taille le jour de notre départ pour m’accompagner jusqu’au bout du chemin, j’étais renversé.

J’ai pu ressentir de l’amitié, de la compassion, de l’amour, du réconfort, de l’enthousiasme auprès de tous ces gens que nous avons connus. Nous avons rencontré des êtres fabuleusement gentils, curieux, ouverts, attentionnés.

En fait, le paysage m’émerveille. C’est très puissant. Mais la relation à l’autre m’ a apporté beaucoup de choses différentes, discrètes ou brutales, douces ou très fortes. Je vais garder ces enfants et ces adultes dans mon coeur. Et je sais que ces choses créées avec eux ne s’éteindront pas.

Loin

Je suis loin, et pendant longtemps. Comme jamais, en fait.

Aujourd’hui, ce n’est pas la sensation de manque que je ressens le plus. Avec Internet et les mails, je partage souvent avec mes proches.

C’est plus la distance. Je ne suis pas là pour les grandes occasions, ou les plus petites. Je ne peux pas être auprès d’eux. Chacun fait sa vie. J’ai une vie solitaire, itinérante, et nous voyons nos amis construire leur couple, leur famille. Je l’ai décidé, mais je manque plein de choses, moi qui ai pourtant toujours été si proche des autres.

Un symbole : nous avons des amis qui se sont rencontrés par notre intermédiaire. Ils font désormais des soirées ensemble. Je suis heureux de le savoir, heureux que ces liens se perpétuent, mais je n’y suis plus indispensable. Je suis donc heureux par altruisme puisque moi je n’en fais plus partie.

Je suis ailleurs, à faire autre chose. Je crois n’avoir jamais été aussi indépendant. Ma mère me disait encore que je l’avais surprise, que j’avais changé, que j’étais un peu « un chat solitaire ». J’ai surpris mon entourage parce que moi qui ai tant été au milieu de gens, meneurs de groupe, je me suis « retiré ». J’ai étonné mes amis, car ils pensaient que j’étais casanier, sentimental…et que je ne tiendrais pas si longtemps.

Comment seront nos relations à notre retour ? Quelle sera la distance en étant au même endroit ?

J’ai décidé de quitter mes proches, d’introduire une rupture, anormale dans une vie. J’ai la sensation parfois que c’est un peu égoiste.

En revanche, je n’ai jamais eu autant de temps pour penser à eux, à leur vie. Ce voyage me fait poser un autre regard, plus distant avec plus de recul, mais plus proche aussi de ce qu’ils sont, je crois.

Enfin, je me sens loin de ce qui fait ma vie en France. Le rugby me manque. J’ai regardé le match d’accession en Pro D2 de Montauban aux Philippines, j’étais à fond. Je visionne quelques bouts de match en streaming du Stade Toulousain. Mais je ne peux jamais vraiment en profiter avec la connexion clignotante que nous avons souvent à l’étranger. Je me rappelle avec plaisir ces samedi après midi, où après la piscine du matin, et le tour à la poissonnerie, je m’endormais paisiblement au tournant dramatique d’un match, sous l’effet d’un bon repas et d’un verre de vin blanc.

La France me manque par ses villages en pierre, par ses habitudes et ses principes, par son histoire. Et en même temps elle ne me manque pas, car elle est triste en ce moment et depuis quelques années. Je vois bien en regardant le site du Monde.fr tous les jours que ce ne sont que des mauvaises nouvelles, au mieux économiques, au pire sociales. Dans beaucoup de pays, j’ai vu de la vie, de la confiance entre les gens, et de l’enthousiasme à penser à notre futur. J’ai peur de ça à notre retour.

En tout cas, je ne me suis jamais autant senti Français que depuis un an. Je visite le monde, je le sillonne de partout, j’en fais un espace connu, mais j’aime mon pays. Vraiment. Mon pays est beau, diversifié, identitaire. Il a des régions différentes, une nourriture incroyable, de si magnifiques paysages, des terroirs enclavés, en un si petit espace. J’aime vraiment mon pays.

Alors un an de plus ?

Oui !

De toute façon, je ne veux revenir en France qu’après avoir vu l’Amérique du Sud. Je veux la voir cette terre latine, de danse, de soleil, de musique, d’espagnol.

J’ai fait un sillon qui n’est qu’une trace invisible dans le monde, et je veux que ce fil aille jusqu’au Sud de l’Argentine. Je ne veux pas bâcler.

Je veux aussi désormais me laisser guider, pas par le Lonely Planet, ni par le Routard, mais par la route, les opportunités, nos rencontres.

Je n’ai pas envie de devoir voir ce qu’il y a à voir, je veux voir ce que je vois. Tant pis si je passe à côté de points d’intérêt, je préfère prendre le temps là et m’approprier un bout de vie là où je suis que d’être le spectateur de ce que tout le monde doit voir.

En fait, je pense qu’ai passé un cap dans la façon de voyager. Je sais que nos prochains voyages se feront peut-être plus au coeur d’une région que dans la visite d’un pays entier. Avant j’aurais dit : « On part 3 semaines au Costa Rica ». Maintenant, je pense que je dirais « On part 3 semaines dans le Nord du Laos, dans la tribu des Akhas ». Ca n’est pas une simple différence de formulation, mais j’ai senti au travers de notre voyage, qu’on ne fait parfois que toucher une certaine réalité. J’ai envie peut-être de voir moins de choses, mais d’avoir plus de temps pour en connaître certaines.

Notre voyage pendant un an jusqu’à l’Argentine, je le veux désorganisé, vivant, libre, proche des gens.

Matthieu

Evetmatt Jaiuneouverture

Bienvenue sur ce site pétri de nos mains avec un peu de levain, de connexion cyclothymique, et d'amour. Enfants du pays du canard, mariés et Parisiens pendant 7 ans, nous avons quitté femmes et enfants il y a un an pour faire tel Spoutnik le tour de la terre. On n'est pas encore sur orbite, mais on est contents quand même. Et on vous le partage ici ! Eve et Matthieu

23 commentaires :

  1. Belle interprétation, c’est agréable de lire « Ce n’est pas parce qu’on est en voyage que l’on ne fait rien », la majorité pensent que nous « nous la coulons douce » .. Merci pour ces mots et ces maux, c’est vraiment top de lire le pour et le contre. Longue vie à vous et à vos découvertes humaines, et géographiques ! Voyageusement, Dimitri.

  2. Bonjour! Je viens d’écrire un commentaire sur le bilan d’Eve en lui disant qu’elle est mon double mais vous jeune homme vous êtes mon triple ! A chacune de vos lignes je me dis que vous me volez les mots de la bouche ! Bravo à tous les 2 pour votre esprit de synthèse et d’ouverture si enthousiasmant. ..On ne vous lâche pas c’est certain sans compter que vous attaquez l’Amérique du Sud que nous avons adorée. Trinquez bien à nous tous au Picso Sur et au Férnet Branca!
    Isa de FabIsa
    http://legrandvoyagedefabisa.blogspot.com

  3. Sympa de faire chacun le bilan d’une année de voyage, à sa façon … nous on partage le 2 !! 😉

  4. Le Vietnam est aussi mon pays préféré, depuis un voyage humanitaire de deux semaines dans un centre d’accueil pour enfants. C’est un bilan très touchant, et qui me donne encore plus hâte de partir à mon tour découvrir notre monde 🙂

  5. Quel bilan..! Touchant et rassurant. Tu dois comprendre pourquoi.
    A nous de faire un bilan, en tout cas je vous impose le mien!

    Déjà, la même impression que toi par rapport au manque. C’est la distance physique qui est difficile. Elle permet de développer malgré tout d’autres choses.

    Déjà un an… Comme dirait Jeanne, « Ca file maman, ça file »!

    Et toujours autant d’admiration pour votre projet, votre acharnement, votre site…
    Alors bravo, bonne continuation et ne changez rien …

  6. Nadia Ghembnad via Facebook

    Vraiment super votre bilan de voyages ! Super bien rédigé, bcp d’humour, de sensibilité et de sincérité ! De belles rencontres, de beaux échanges, de beaux souvenirs… Pas mal dastuces et de conseils ! Merci Ca donne envie de remplir son sac et de parcourir le monde a notre tour !! Merci 😉

  7. Houda Chaloun via Facebook

    Waw un an déjà!! ça fait plaisir de vous voir toujours aussi inspirés et inspirants. J’espère pouvoir vous rencontrer bientôt en Amérique du sud 🙂

  8. L’information n’est pas la connaissance. En vous départissant des guides vous privilégierez la seconde. C’est un bon choix. Un question Matthieu, mais qui s’adresse à vous 2. Une seule réponse permise ou alors rien. Le blog. C’est plus pour nous ou plus pour vous? Je vais me faire haïr de l’avoir posée tant le votre est accueillant. Merci pour la chaleur du rêve. Biz

    • Mr Anonyme, je t’ai donc répondu par mail…:)
      Un blog n’a de but que de montrer aux autres. Sinon, en effet autant faire un cahier papier soi. Depuis le début, j’ai donc eu envie de le faire pour partager nos découvertes, pour en faire profiter ceux qui le souhaitent. C’était donc pour les autres.
      Mais depuis, je pense qu’un blog il faut le faire aussi pour soi. Il faut aimer écrire, prendre des notes de son voyage, faire un carnet de route. Cela prend du temps, et nécessite de réfléchir à ce que l’on vit. Enfin, si l’écrasante majorité des messages que nous recevons sont des messages touchants et intéressés, nous avons aussi parfois des messages différents…Il ne vaut donc mieux pas être dépendant du regard posé par les gens. Et en ce sens, faire un blog est une expérience personnelle partagée ou non.

  9. Merci pour tes mots, ils participeront a nourrir ma réflexion pour les 5 mois de voyage qu’il me reste…sur un an, a moins que je ne change d’avis pour continuer ….

  10. Salut, jolies photos (surtout celle en safari). Tu as utilisé quoi comme objectif ? (et comme appareil?)

  11. Magnifique ! Si vous vous ennuyez un jour… vous pourrez toujours écrire un livre !

  12. Et bien… J’ai du mal à trouver les mots justes. C’est touchant, honnête, magnifiquement écrit. Je comprend mille fois tout ce que tu dis et décris. Très beau témoignage de vie, d’expérience… J’en ai eu les yeux humides dis donc !

    • Merci beaucoup Marjorie. Ca fait vraiment très plaisir de recevoir de tels messages. C’est aussi pour partager que nous faisons ce blog, et donc recevoir de tels encouragements, ca touche ! Vous aussi vous faites un blog, et vous verrez combien on peut recevoir de beaux messages… Merci ! 🙂

      • Effectivement, nous avons déjà reçus de très beaux messages d’encouragements et de félicitations et je me rend compte à quel point c’est important aussi de le dire aux autres. Comme tu dis, un blog c’est du partage, mais si personne ne te dit qu’il apprécie ton travail et ton investissement, comment savoir que tu es sur la bonne route ? On ne dit jamais assez que c’est bien 🙂 ! Bonne route pour la suite ! (contente que vous ne vous arrêtiez pas là!!)

        • Oui, et puis si un blog n’est pas pour être lu, alors autant utiliser un cahier papier…:) Ce que je ressens beaucoup, c’est qu’après des mois et des mois à vivre à deux, un peu coupé de nos proches et de ce qui a fait notre vie, il est important de sentir que ce que tu fais, c’est bien. Plus les gens le disent, plus c’est encourageant…:)

  13. Un bien beau bilan, partagé bien sur !! 😉

  14. Marianne Schffr via Facebook

    Le moins que je puisse dire, c’est que vous donnez très envie de préparer un sac et repartir à l’aventure… Profitez bien de l’année qui s’annonce 🙂

  15. Ca prend aussi aux tripes quand on lit ça…

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