Parfois rien de mieux qu’une comparaison fine pour éclairer un propos brillant. La semaine sainte est au Guatemala ce qu’est le parfum des phases finales à notre championnat de rugby. L’immanquable, le grand tout. La semaine où on avale la cerise en oubliant le gâteau. Nous avons donc assisté aux phases finales de l’année catholique au Guatemala. Et Jésus a marché sur mon tapis.
American Land
Première étape : San Juan de la Laguna au bord du lac Atitlan. Le village duquel nous partons en lancha (bateau motorisé) ressemble à un long couloir de vendeurs ambulants. C’est Panajachel. Ici, se bradent les milliers de reproductions artisanales made in China. Des hippies américains tatoués aux dreads aseptisés, voyageurs ou résidents, croisent les locaux en costume et les touristes en Quechua comme moi.
Sur les étalages s’amoncellent des quantités de produits artisanaux réputés faits main dans le pays. Soit on caché une colonie de mandarins dans la ville, soit les dauphins en céramique et à paillettes viennent du Guatemala…
Je n’apprécie jamais trop ces lieux dévalisés par un tourisme qui profite à tout le monde mais à personne. Produits de Taiwan, enseignes de bouffe américaines, cafés allemands et pubs irlandais. La différence avec le Mont Saint Michel ? Ici, il n’y a pas les biscuits de la mère Poulard.
Après avoir mangé pain noir allemand et cappucino à la guatémaltèque, nous prenons la lancha. 45 minutes de traversée sur un lac entouré d’une chaîne montagneuse, essaimé de bateaux électriques et d’américains qui font les cons sur des bouées arrimées à leur jet-ski. J’avoue : j’ai peur d’être à Disney version aquatique, le parc des schtroumpfs pour états-uniens.
Faut dire que les Ricains se sentent ici comme à la maison. Enfin la maison… Pour les Etats-Unis, l’Amérique Centrale, c’est un peu son garage, son cellier, son jardin, sa piscine, sa maison de retraite. Le garage où on jette son matériel usé, et notamment ses vieux bus scolaires. Le cellier où on s’approprie gaiement les réserves agricoles – bananes en particulier-. Son jardin pour venir marcher dans la nature quand c’est trop cher à la maison. Sa maison de retraite où on envoie ses vieux dont on ne veut plus. Et en particuliers les vétérans de l’US Army. Sa piscine, pour venir tremper son postérieur quand il fait trop froid à Miami.
Bref, je vous conseille la trilogie d’Arte : CIA – Guerres secrètes. Vous y verrez la délicate bienveillance que les USA ont envers ceux qu’ils appellent « leurs filles adoptives ».
San Juan, un petit lieu tranquille
Mais revenons-en à San Juan puisque nous venons d’y arriver. Une petite côte pour entrer dans le village tout calme, bordé par des boutiques d’artisanat, tenus par des locaux tous gentils. A San Juan, nous avons rencontré trois personnes : Ingrid, Juan et Helena. Les deux derniers étant frères et sœurs. Les deux filles sont tisserandes, lui peintre. Et c’est dans cette ambiance artistique et amicale que nous avons déambulé dans ce village perdu au milieu des montagnes et bordé par un lac qui le dévore de plusieurs mètres chaque année.
Que ce soit dans des discussions nocturnes sur les dieux mayas dans l’atelier de Juan ou dans la baignade avec Eve, Helena et des gamins, je me suis senti heureux, un peu chez moi. Tiens, ca y est, j’ai le syndrome etats-unien…
Lors de notre baignade, pas très loin des détritus flottants, à côté d’un pêcheur de crabes, en face de ces chaînes de montagnes, on se marrait à s’éclabousser, à se pousser aussi différents, aussi étrangers que nous sommes. C’est naîf, c’est simple mais ce sont les moments avec les gens que je préfère.
Nous sommes alors très loin de chez nous, dans un univers si particulier, avec des personnes que nous ne connaissons quasiment pas et pourtant nous éprouvons un vrai plaisir à être ensemble. Ces moments sont beaux parce qu’ils sont si improbables car si lointains qu’ils fixent aussi le temps.
Le jeudi soir, nous avons attendu au milieu de familles devant l’église sur la place terreuse et perdue dans le noir que les chars soient prêts pour la procession. Il y a si peu de touristes qui dorment à San Juan que nous sommes agréablement perdus au milieu des gens d’ici. Quelques mots d’espagnol à un enfant, puis à son frère, et nous parlons à la maman qui veut que nous suivions la procession ensemble.
Enfumés dans le mystère
Des torches sont allumées sur des braises qui fument. Les chars s’éclairent et sous ces plateformes d’un bois massif surmontés par des statues catholiques prennent place des dizaines de porteurs hommes et femmes. Ils marchent comme ils tituberaient, avançant en groupe, par des allers-retours de gauche à droite, sous le poids de ces chars immenses.
Le village s’est paré à chaque carrefour de portiques de fruits, de palmes -les stations de la procession-. Des centaines de personnes accompagnent les chars, en chantant ou en priant, mais il y a une solennité, une paix frissonnantes. Les encensoirs enfument la nuit noire, percée par des lanternes oranges. Les fleurs embaument l’air et tranchent avec les voiles noirs des femmes et des filles qui marchent en file indienne. Un long câble qui alimente en électricité les ampoules des chars traîne patiemment vers un petit groupe bien derrière promenant sur un diable le générateur électrique.
Le village tourne autour de lui-même dans ses rues. Dans un mouvement lent, enfumé, coloré et paisible, je vis un beau moment au coeur de cette culture et de ce peuple. Je me sens privilégié, perdu et serein dans l’intimité de ce rite, de ces gens. Toujours si loin de chez moi, de mes repères et mes convictions.
A ce moment-là, je n’avais vraiment pas envie de partir. Et c’est au cours d’une discussion sur les Mayas avec Helena et Juan que nous avons promis de revenir, de vivre dans leur famille et de leur créer un site internet pour la galerie de ses peintures.
Jésus consomme beaucoup de paillassons
Le vendredi, nous devions être à Antigua, une belle ville coloniale à l’est du lac Atitlan. C’est ce jour-là que Jésus a marché sur mon tapis.
Oui, je vous explique. Au Guatemala, et en particulier à Antigua, les habitants ornent leurs rues de tapis de fleurs, de sciure de bois ou mêmes de légumes et de fruits à même le sol. Chaque jour de la semaine sainte, en fin d’après-midi, les locaux sortent sur les rues pavées, et hommes, femmes et enfants dessinent de grands chemins de fleurs et de sciure colorés. Les rues deviennent alors de vraies musées temporaires, libres et populaires. Génial. Temporaires puisque c’est parterre, situés sur les chemins de la procession, que ces alfombras se verront piétinés par les chars au moment de leur passage. C’est le but, la tradition.
Nous passions devant une maison, et un gars qui traçait les premières lignes d’un très long tapis nous a proposé de l’aider.
Oh que oui ! Nous avons passé deux heures à toucher de la sciure, à mélanger les couleurs (dans la cabane du pêcheur), avec nos hôtes guatémaltèques. De part et d’autre de la rue, d’autres familles faisaient de même, à leur façon. Cette grande ambiance d’œuvre collective, de fête paisible colorée était super.
On prend des pochoirs en bois qu’on remplit de sciure. Dès qu’elle est posée, on l’arrose pour la fixer et se dessine au fur et à mesure un grand tapis d’une dizaine de mètres de long sur quatre mètres de large. La maîtresse de maison asperge avec un jet d’eau. Nous, nous sommes à genoux avec le père et le fiston pour faire les ornementations. C’est cool. Encore un bon moment de vivre ensemble, avec des personnes inconnues, à l’autre bout du monde.
Avant la procession, ils sont allés se faire beaux. Chemise, parfum pour lui. Maquillage, beaux habits pour elle. C’est une grande occasion.
On a alors attendu les chars, la musique, les lignes de fidèles en noir, capuches de moines pour les hommes, voiles pour les filles. Une atmosphère de joie paisible, conviviale.
Et là, Jésus a marché sur mon tapis.
Matthieu
Du 29 mars au 6 avril 2015
Les photos de cette série sont exceptionnelles ! Bisous les amoureux, je pars quelques jours à Bilhères..
Salut,
Ces photos m’apparaissent comme les plus authentiques de vos pérégrinations.
C’est bien le Guatemala non?
Biz
Authentiques…dur à dire. Toutes sont authentiques.
Simplement là, la vie des gens, dans tous ses symboles est sortie dans la rue.
Bon, je n’avais pas lu le bon article de Matthieu.
Il faut toujours poser des nuances désormais.
Re-Biz
Des nuances à quoi ?
Biz
great pics! Wish i could read it hehehe
We are looking for a translator volunteer 🙂
Thanks
How are you ? Back in Canada ?
We juest arrived in Montreal ! 🙂
Que de forts souvenirs au travers de ces images authentiques, que d’émotions partagées, ce voyage reste gravé dans nos mémoires 🙂