Esteli au Nicaragua est une ville encaissée, au creux des montagnes, à quelques dizaines de kilomètres du Honduras qu’on aperçoit depuis les hauteurs, dans les environs. Des montagnes à perte de vue.
Une ville de béton et de tolle
C’est une ville chaude et poussiéreuse, que fendent constamment les gros camions fumants sur des routes défoncées. Esteli n’est pas une belle ville. Bétonnée, salie, caillouteuse, c’est le type de ville qui s’est construit vite, de façon anarchique là où les villages et la campagne se sont étendues sur des siècles. Le parpaing, la tôle, et les tiges de fer plantés dans le ciel constituent le décor.
Coupée en deux par la Panaméricaine, Esteli est bruyante, animée, perdue dans ses transports pollués, ses magasins inesthétiques et ses commerces en béton à profusion. Les camions énormes éliment la Panaméricaine, les vieux bus jaunes des Etats-Unis fourmillent, dans un concert de klaxons et de nuées noires. C’est assourdissant.
Ca donne l’impression d’un Far West goudronné et défoncé. Un Far West en jeans et en tortillas. Un truc hybride. Esteli se détache à peine d’une économie agricole souvent vivrière pour passer très vite au grand bain acide de la mondialisation, qui fait souvent regretter aux gens le confort de l’ancien. Il y a 30 ans, flanquée plus près de ses montagnes, Esteli était sillonnée par des chemins de terre, et parsemée de ses cultures naturelles. Aujourd’hui, c’est l’empire du gaz.
Des chaussures pendues aux fils électriques
Il y a là, à tous les coins, dans les quartiers des chaussures pendues aux fils des pilonnes électriques. Signe ici qu’on peut se procurer de la drogue. Derrière se profile le seul horizon vers les collines ; un chemin qu’empruntent les plus jeunes pour aller consommer des rails à l’abri de la ville. Esteli est un lieu de production de cigares qui partent vers le monde. La drogue, en revanche, reste ici.
Esteli n’est pas le gouffre de toutes les désespérances mais le symbole d’un pays pauvre sans indépendance. Mais comme nous avons pu en visiter pas mal en Amérique Centrale, la pauvreté, la drogue et la corruption sont les meubles d’une vie dont les habitants s’accommodent, et qu’ils cherchent à rendre heureuse et simple.
Le Nicaragua en a pris plein la g****
Dans les années 70, après des décennies de dictature morbide de la famille Somoza, le peuple a pris le pouvoir dans un élan de libération et d’espoir.
Mais il ne fallait pas oublier les Etats-Unis qui s’invitent toujours en Amérique Latine à la fête des régimes autoritaires. On négocie plus facilement avec un dictateur, quand il s’agit d’en exploiter la population et d’exporter les bananes de son pays.
Comme souvent depuis les années 50, les USA ont donc stoppé l’élan démocratique et populaire d’un pays, trop peu adapté à l’imposition de sa domination et de la sécurité voulue dans cette zone proche de leur canal du Panama. Dans une guerre d’usure, les Etats-Unis ont donc depuis le Honduras et à travers la CIA, soutenu la contre-révolution, coupé les voies d’approvisionnement du Nicaragua et l’ont plongé dans la faim et la guerre civile pendant des années.
Le chef Daniel Ortega, autrefois leader de la révolution populaire, est donc passé aux mains des USA et des pétrodollars, et s’est opportunément mis l’Eglise dans le portefeuille. La révolution en a été confisquée (je vous conseille la trilogie d’Arte CIA – Guerres secrètes qui est édifiant notamment sur le Nicaragua).
Les Nicas sont donc très politisés, très engagés, et s’ils étaient les révolutionnaires d’hier, ils sont aujourd’hui les contestataires de leur ancien chef.
C’est dans cette ville, et au milieu de ses habitants que nous sommes venus passer 3 semaines.
Une autre vie…
Nous y sommes arrivés un week end. Plus d’eau courante. La municipalité ferme l’accès à l’eau aux habitants en fin de semaine afin de la préserver pour les entreprises. Puis une coupure d’électricité de plusieurs heures. Le réseau Internet sature également. Pour 50 dollars le mois, c’est une connexion yoyo.
Nous sommes chez Norma, notre prof d’espagnol. Elle a une fille étudiante en médecine. Un copain de 15 ans de moins, Alvaro. Et un ami français, Jean-Marc, la cinquantaine qui partage la vie de cette communauté originale. Ils accueillent des élèves en espagnol, que toute cette petite famille chérit avec beaucoup d’attention. On s’est senti bien avec eux. Et 1 semaine est devenue 3 semaines.
Dans une maison de béton, au sol cimenté, aux murs nus et au plafond de tôle, passent sans discontinuer la famille, des gens du quartier, des élèves.
Une extension de la maison se construit. Les coups de marteau saccadent les minutes, les vautours locaux font grincer leurs griffes sur les toits. Les chiens hurlent pendant la nuit. Chaque jour se pose un peu plus la poussière de cette ville inachevée sur les meubles des maisons et les yeux rouges et abîmés de ses habitants.
A Esteli, on trouve d’ailleurs des tas de pharmacies. Classiques, bio, naturelles, elles sont à tous les coins de rues. Consultation gratuite, prise de tension, la santé et son business s’ouvrent à la ville.
On rit quand même
Alvaro est expansif, blagueur et comme d’habitude dit des conneries sur tout ce qui se situe au-dessous de la ceinture. Tous les fruits ont un quelque chose de sexuel. Alors en faire une salade mérite d’en évoquer la cosmologie.
Norma, mère célibataire, droite et forte, corrige ses copies, rit, part en cours, revient, puis s’en va le soir, enseigner à des jeunes défavorisés. Leslie sa fille, étudie. Jean-Marc, lui, cuisine et sourit. Un mec sympa. La nièce de Norma, souvent à la maison, mère célibataire, passe le soir avec sa fille.
On mange du riz, des frijoles – les haricots rouges- , du poulet à la plancha, un avocat, des tortillas. Et parfois un peu de bière, de la Victoria.
Je ne comprends pas trop encore, mais l’espagnol se braille joyeusement dans la cuisine. Ils parlent fort, ils rient, ils se font des blagues. C’est simple et c’est joyeux. Stéphanie, la petite de 7 ans, est intelligente, curieuse, et nous fait un spectacle de chant et de danse sur du Shakira et du Rihanna.
Le frère de Norma se pointe, et révolutionnaire convaincu, nous monologue avec intérêt sur la vénalité et la domination injuste de nos pays occidentaux. Pour lui, compatir au 3ème monde est une mauvaise blague puisque nous en sommes les créateurs.
Pas de violence, mais une vraie conviction forgée et camée. Parce que la cocaïne est partout ici. Elle est dans toutes les familles. Un frère en prend, un cousin aussi. Norma nous parle de leur consommation avec autant de banalité que si nous parlions de tabagisme en France. Les gamins commencent parfois à 11, ou 12 ans.
Ici, au pays du rhum et du cigare, on navigue entre le pétard et la coke, qui se fume ici. A haute conso. Des vendeurs de télécommande, d’abonnement télé, signalent leur passage dans les rues. Oh, ils ne vendent pas tout ça, non ce qu’ils vendent, c’est de la drogue. Nom de code.
J’irais bien prendre une douche mais toujours pas d’eau.
Il faut une certaine humilité, il ne faut pas avoir une grande idée de son rôle dans la société et du poids de sa vie pour son pays. Ils n’ont pas d’eau le week end car c’est comme ça, les grandes entreprises passent en premier. Cela me rappelle les Philippines et leurs habitants qui n’ont d’eau que le reste laissé ou non par les hôtels à touristes.
Il n’y a pas d’eau mais il y a de la bière. Du rhum aussi. Le billard d’à côté vend de grandes bouteilles. Une vingtaine de personnes jouent et fument dans cet espacé étriqué. Les hommes scrutent. Eve est la seule femme dans la salle.
A Esteli, au billard comme dans la rue, les hommes matent.
Paradoxes
Norma et sa nièce nous l’expliquent. Beaucoup de mères solitaires, des hommes machos et des femmes au caractère bien trempés. Norma a une vingtaine de demi frères et sœurs. Alvaro a connu les multiples femmes de son père et a lui aussi une ribambelle de demis. Ici, la vie conjugale a des contours très particuliers qui se creusent dans le paradoxe de vies solitaires, de couples infidèles et d’églises pleines à craquer.
Norma me dit qu’on rit du sexe, mais qu’on n’en parle pas. Elle rit de me le dire. Le manque d’éducation fait des mères jeunes, des couples immatures et des familles décomposées. Dans un pays et une Amérique Latine où l’importance de la mère est tout aussi forte, la société évolue aujourd’hui dans un contexte de monoparentalité.
Dans les rues, les gamins jouent, les parents parlent. Il y a du monde, c’est vivant. Les gens sont ensemble. Et ils rient.
Ici, s’entrechoquent des parcours individuels à la croisée des nouveaux horizons de l’éducation et la santé, et des pesanteurs d’une société pauvre et mutilée pendant des décennies. On est entre le rural et la ville, la coke et la pharmacie, les indigènes et les jeans, les fast foods et l’agriculture, la Panaméricaine et les chemins de terre, la sainte famille et les gens seuls, l’Eglise et l’IVG.
Rien n’est sec.
Tout se construit.
Matthieu
Esteli nous a laissé un sentiment mêlé. Entre ses côtés sombres et lumineux, les infrastructures sont mauvaises, les conditions assez difficiles, mais les habitants nous ont semblé fiers, ouverts et souriants.
Aussi, à quelques kilomètres de là, dans la réserve de Miraflor nous avons passé un de nos plus beaux moments de voyage en compagnie d’une famille dans la réserve de Miraflor.
Je retiens de cette région du nord du Nicaragua un dénuement important, mais une solidarité incroyable, une conscience politique à faire palir les pays européens, sans doute un héritage du sandinisme, pour le pire et pour le meilleur.
Le Nicaragua fut un vrai coup de coeur et cette région y est pour beaucoup. Merci pour votre bel article.
Merci Seb pour ton beau post. C’est vrai qu’Esteli laisse un sentiment mêlé. Cette ville n’est pas belle, elle n’est pas paisible, elle n’est pas calme. Nous y avons vécu une très bonne expérience humaine. C’est en fait une idée, ou une certaine forme de voyage. IL n’y a rien à voir, il y a des choses à vivre. Et comme dans tous les pays, et ici en particulier, il y a un vrai truc à découvrir. C’est vrai que comme toi, j’ai été impressionné par la conscience politique de ce peuple. Ah on peut parler d’un « bas niveau d’éducation », d’un « pays sous-développé », mais quel niveau de réflexion politique, quel engagement !
Très intéressant !
C’est une destination peu courante dont on ne parle que peu dans nos médias concentrés sur les déprimants et futiles faits divers… Mais heureusement, votre blog existe 😉
Merci Jenzinha ! Bon, je ne sais pas si notre blog se situe du côté de l’information, mais c’est vrai que j’aime ce genre de villes, comme Esteli où l’on sent vraiment la culture, la vie, et ses particularismes. Esteli est chargée d’un truc qui parle lui même du Nicaragua. Elle est à faire ! 🙂
Un excellent article qui permet de découvrir des villes moins connues … on le partage avec Passion et Plaisir … 😉
Toujours merci à vous de partager ! 🙂 A chaque fois, c’est un petit plaisir de voir que vous suivez, que vous encouragez ! Merci ! 🙂
Un excellent reportage-témoignage-cours, je ne sais comment l’appeler tellement c’est vrai, sur cette Amérique dont on parle que trop peu. Merci de partager tout cela.
Merci beaucoup Marie-Paule ! 🙂
Je voulais vous envoyer un mail comme je vous avais dit, et quelques jours plus tard, paf le vol de nos affaires, et depuis, le temps a passé !
Je vais l’envoyer prochainement !
En tout cas, merci encore ! 🙂
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