Comment tu vois la vie ? Jean Marc, Esteli, Nicaragua

Le portrait d’un français, Jean- Marc expatrié au Nicaragua. Il vit dans une famille nica dont nous avons partagé la vie pendant 3 semaines. Il a répondu à notre questionnaire : « Comment tu vois la vie ? ». Une discussion super intéressante avec un homme qui a eu envie de quitter la France.

Comment tu vois la vie - Jean Marc

Votre prénom ? 

Jean-Marc.

Votre âge ?

56 ans.

Où vivez-vous ?

Pour l’instant, à Esteli. Nicaragua. C’est-à-dire que j’ai des idées d’aller voir un peu du côté de Rivas, parce que la mer me manque beaucoup. La mer, la pêche ; j’y vais pour une semaine, pour 10 jours pour voir comment ça se passe. Mais bon, si tu veux comme j’ai une maison, ici, c’est un peu facile. (Il sourit. ). Mais non, je ne suis pas d’ici, je suis français. C’est un choix que j’ai fait…hou…il y a très longtemps. Il y a 17 ans, on va dire. En fait, je n’aimais plus vivre en France, et je suis tombé sur ce pays qui m’a plu immédiatement…Enfin, presque immédiatement. Je me suis dit : « c’est là que je veux vivre ». En France, en fait, je m’ennuyais. Il me semble que j’avais tout vu, tout connu là bas. Oui, je m’ennuyais. Je suis tombé amoureux de ce pays et de ces gens. Je me suis senti bien presque immédiatement ce qui ne m’était pas arrivé en France depuis oula….10 ans…Non, 7 ou 8 ans. J’ai connu des gens très bien.

Maintenant, c’est de moins en moins vrai…Mais c’était beaucoup moins contraignant en termes de vie…Ici les gens ne sont pas stressés…Il y avait beaucoup moins de lois. Tu pouvais te permettre beaucoup plus de choses. Par exemple…tu peux rouler comme tu veux. En voiture, tranquille, sans permis…Enfin, c’est pas ça… Mais je suis un motard. Et en France, tu ne pouvais plus faire les chemins…Ici, j’ai eu 2 4×4, et j’ai pu m’amuser sur les chemins. Les policiers s’en foutent. En ville, non évidemment, il faut être raisonnable. Encore aujourd’hui, sur les chemins, tu peux faire ce que tu veux. En France, c’est fini depuis très très longtemps…

A partir de quelle distance quelque chose est loin ?

Quand ça dépasse une journée de voyage. Oui, je suis très très loin de la France. Même en idées. En pensée, je suis très très loin. Bien sûr que j’aime toujours mon pays, mais je ne me sens pas bien là bas. Mon pays, aujourd’hui finalement, c’est là où je suis bien. Comme en France, je ne me sens pas bien, et qu’ici je me sens très bien, le Nicaragua, c’est un peu mon pays. Mais comme en France, j’ai toujours un peu de famille…

Ceci dit , je suis toujours les nouvelles de la France. En termes de culture, il y a quand même toujours des choses qui m’intéressent. Que ce soit la politique, le sport, les livres, les films…Et comme ici, c’est assez léger…Enfin, ici en politique, c’est un peu gratiné…La politique, je prends ça maintenant…j’essaie de le prendre de très très haut. Je ne sais pas si je m’intéresse plus au monde qu’à la France. Mais non, non, je m’intéresse à la France, j’y ai mes racines.

Avec qui vivez-vous ?

Je vis dans une famille nica. Avec des gens que j’aime beaucoup. C’est une famille un peu disparate. C’est une prof, avec son copain, et avec sa fille. Une famille très très originale.

Quel est votre métier ?

Electricien. Dessinateur en électricité. Je fais les plans. J’ai bossé pendant 18 ans dans une entreprise française qui s’appelle DCN, direction des constructions navales. Je bossais, je faisais des plans pour les bateaux et les sous-marins. J’ai bossé dans des centrales nucléaires aussi. Mais aujourd’hui, je ne fais plus ça. Ici, j’aide la prof. Je cuisine, et parfois j’emmène les étudiants en balade.

Combien d’heures travaillez-vous par jour ?

Quand il y a des étudiants, 4-5 heures par jour. Mais pour moi, ça n’est pas vraiment un boulot, puisque j’aime cuisiner et me promener. Me promener avec des étudiants, c’est génial.

Que préférez-vous manger ?

Je dirais…Il y a tellement de plats que j’adore. J’adore manger. Des plats de viande, de la pâtisserie…Des fruits de mer, j’adore les fruits de mer. Oui, un crabe mayonnaise. Rien que d’en parler, j’en ai l’eau à la bouche. Avec un peu de blanc, ouah… Mais je pourrais dire aussi des moules marinières avec des frites…oh la vache…

Combien de temps mettez-vous pour aller travailler ?

(Il rit). 5 minutes et encore…Je vis sur place, et ça c’est bien quand même. Ca va faire rêver pas mal de Parisiens, et de gens qui vivent dans les grandes villes. Avant, le dernier boulot, que j’avais, je faisais 45 minutes de voiture, et 15 minutes à pied. Pour l’aller. Pareil le soir…

Que représente pour vous la mort ?

Je n’y pense jamais. Non, je ne la fuis pas, mais je l’ai toujours intégrée à la vie. C’est quelque chose de logique auquel je ne pourrais pas échapper. Je ne peux pas l’éviter. Donc… Pourtant,, j’ai des gens qui sont morts autour de moi. Sur le coup, t’as beaucoup de chagrin…mais non, ca ne m’a jamais préocuppé. Même dans la mort des autres, je peux les voir dans leur cercueil. Mais je me souviens toujours d’eux vivants. Les gens que je vois dans leur cercueil, ca n’est pas… Ca n’est pas eux…Après la mort ? Je dirais rien. Je n’attends rien. Je ne suis pas croyant. C’est un grand vide, c’est un grand trou. Mais ca ne me fait pas peur. J’essaie juste d’en profiter un max avant. Ca ne m’inquiète pas.

Qui est Dieu ?

Pour moi, c’est un… Un concept abstrait. Mais ce serait mieux de parler de la religion. La religion, c’est une philosophie. Je le prends comme ça. Mais ca ne me préoccupe pas, ca ne me pose pas de questions.

Quelle est la personne qui vous inspire le plus ?

Très très difficile. Non…aucune. Tous les gens qui ont des choses à dire m’inspirent. Et surtout s’ils sont libres, s’ils vont contre le vent. J’ai toujours été un peu contestataire. Je n’aime pas les idées préconçues. J’aime bien remettre en cause.

Quelle est la chose la plus importante dans votre vie ?

(Il hésite). Les amis. Parce qu’ils m’apportent beaucoup. Les rencontres. Demain m’intéresse. Oui…les gens que je pourrais rencontrer demain. Et ici, c’est le lieu idéal. C’est un bon endroit.

A quel âge est-on vieux ?

Un lieu commun…On est vieux dans sa tête. Il y  a peut-être un jour, où on accepte d’être vieux. Tant qu’on ne l’accepte pas, on n’est pas vieux, on reste jeune. Et je vais même ajouter : quand on accepte d’être vieux, c’est que la fin n’est pas loin, pour moi.

Quel est votre meilleur souvenir en famille ?

En famille…Oh, je ne sais pas… Ah si…Le truc qui me faisait vraiment plaisir, et ca a duré une dizaine d’années. Mon père a acheté un bateau, et j’adorais aller pêcher avec lui, relever les casiers. Aller à la pêche avec lui, avec mes copains. Des mes 15 ans à mes 25 ans. Même 30 ans. Mon père a eu le bateau tard. Avant, c’était sur les rochers, sur les pontons. Ca c’était super sympa. Toute la famille suivait. On se faisait un barbecue. C’était vraiment génial. On passait beaucoup de dimanches comme ça. Et la famille suivait. On partait le dimanche matin, la famille complète avec les cannes à pêche, le barbecue. Il y avait deux familles qui venaient avec nous. Mais c’était un moment de famille. Les matins de pêche sur le bateau, c’était génial, ça.

Comment avez-vous rencontré votre conjoint/conjointe ?

Je n’ai jamais eu de conjointe. Je n’ai jamais eu d’épouse ou de famille avec qui j’ai vécu longtemps. Pour moi, ça n’a jamais duré très très longtemps. C’était que des aventures. Elles ont pu durer, mais jamais très très longtemps. Si c’est un regret ? Ce n’est pas tant d’être marié, mais c’est de ne pas avoir d’enfants. Ca c’est sûr. Ca me suit. Pourquoi ? Parce que j’adore les gosses. Bernard Lavilliers dit dans une chanson : « La liberté coûte cher ». Les mots qu’il emploie sont différents…Attends, c’est…Un truc comme ça. La liberté, c’est aussi de la solitude. Quand tu veux être libre, il faut que tu laisses beaucoup de choses de côté. Donc, oui, ça coûte cher.

Votre genre de musique préféré ?

J’en ai beaucoup mais je dirais le blues. Parce que toujours…Quand les chanteurs reprennent. Dans le blues, il y a beaucoup de musiques qui sont des reprises. Mais chacun a sa manière, qui peut ne pas me plaire d’ailleurs, mais chacun a sa façon de réinterpréter. Ca part d’une chose brute…Parce que dans les années 20 ou 30, c’était brut. Mais ils reprennent des choses, qui me transcendent. Il y a des voix qui sont vraiment à part. Il y a des morceaux que je connais qui me donnent la chair de poule tellement ils me touchent. Mais j’aime beaucoup de genres musicaux. J’adore le rock, la pop.

Croyez-vous en la politique ?

Je crois en la politique. Mais je ne crois plus en les politiciens. Mais alors vraiment plus. Ca fait très longtemps. Pourquoi ? A cause de l’expérience. J’ai 56 ans, je suis la politique depuis que j’ai 18-20 ans, et je me rends compte que les politiques, soit ne veulent pas, soit ne peuvent pas changer la vie des gens. Je suis à gauche toute… J’ai toujours été comme ça. Mais je ne crois plus en eux. Mais ca ne m’empêche pas de suivre, et de toujours m’intéresser. C’est peut-être par masochisme. J’espère toujours que quelqu’un en politique va sortir et changer les choses. Mais je crois qu’il y a beaucoup de personnes comme moi, qui espèrent, qui attendent que quelqu’un va mettre un coup de pied dans la fourmillière.

Comment vivez-vous l’immigration dans votre pays ?

Il y aurait beaucoup de choses à dire. Pour moi, l’immigration, c’est une chance. Un apport de culture. Par contre, pour ceux qui viennent…Comment je pourrais dire ça ? C’est quelque chose qui doit être très très dur, de difficile à vivre. Très très difficile à vivre. Ils sont très mal acceptés par une partie de la population…Moi, j’ai quitté mon pays, et je peux revenir quand je veux. Mais j’ai choisi, alors que eux, non. Enfin, ils ont fait un choix, mais dicté par la misère. Alors, bon, ça n’est pas un choix. Quand je vois ici, ce que ça peut donner avec les Nicas qui vont bosser au Costa Rica, aux Etats Unis, en Espagne…Ca donne des familles désintégrées et des enfants déboussolés…

Quelle est la meilleure invention selon vous ?

Ouh…Il y en a…Pour le moment, je dirais Internet. Parce que c’est un moyen de se cultiver et de communiquer. Dans quel ordre, je ne sais pas…Ca doit être de communiquer…Mais ca rend la culture accessible. C’est ça surtout.

Qu’est-ce que l’amour ?

C’est la chose la plus importante. D’abord, ça change tout. Et ça change tout en mieux. Ca rend les gens meilleurs. Mais cela leur permet de se transcender aussi. Cela les rend heureux, et donc cela leur permet de changer la vie des autres.

Quel est votre plus grand rêve ?

C’est de pouvoir continuer la vie que je mène maintenant. Et je ne vois pas pourquoi ça pourrait s’arrêter. Donc je n’ai pas vraiment de rêve.

Si vous aviez un principe de vie ?

Aime les autres malgré tout. Pense, réfléchis et ensuite existe. Pèse le pour et le contre; vois ce dont tu as besoin et ensuite agis.

Entretien le 12 mars 2015 dans la maison familiale à Esteli

Evetmatt Jaiuneouverture

Bienvenue sur ce site pétri de nos mains avec un peu de levain, de connexion cyclothymique, et d'amour. Enfants du pays du canard, mariés et Parisiens pendant 7 ans, nous avons quitté femmes et enfants il y a un an pour faire tel Spoutnik le tour de la terre. On n'est pas encore sur orbite, mais on est contents quand même. Et on vous le partage ici ! Eve et Matthieu

2 commentaires :

  1. Salut Jean Marc,
    Pas d’ac sur tout? De gros désacs sur rien. Un truc qui revient quand même, et souvent. On se cultive avec internet. ??????
    Alvaro et moi, on persiste et signe. Le lit, seul facteur irréfutable de progrès.
    PS : les Grecs viennent de voter Non. J’aime beaucoup les Grecs.
    Ceci dit, tu as raison Jean Marc, vieillir ça n’est pas une fatalité.
    Bonne vie dans ton nouveau pays.

  2. J’adore votre blog les gars, je trouve qu’il a un sens, il est instructif, bien construit et transporte avec vous tout au long de vos pérégrinations. Dommage que vous n’avez pas plus de succès, vous le méritez ! PS : la fin du voyage approche, j’ai mal pour vous !

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